Benjamin Barnaba (chemise claire) lors d’une distribution de nourriture dans le camp de déplacés de Thobo. csi
« Nos vies sont moins importantes pour eux que l’expansion territoriale ». C’est le constat amer que dresse Benjamin Barnaba, qui aide les déplacés de guerre au Soudan pour CSI.
CSI : Quelle est la situation au Soudan ?
Benjamin Barnaba : Actuellement, nous vivons la plus grande crise humanitaire au monde. Tous les indicateurs montrent une catastrophe d’une ampleur sans précédent : des centaines de milliers de personnes ont été tuées en toute impunité et des millions d’autres ont été déplacées à plusieurs reprises à l’intérieur du pays. Elles n’ont pas accès à l’aide humanitaire. D’innombrables personnes ont fui vers les pays voisins, où elles luttent pour survivre dans des conditions extrêmes. Des villes entières, y compris la capitale Khartoum, ont été saccagées.
Quelles sont les régions les plus touchées ?
Les États fédérés situés au sud du Soudan, le Kordofan du Sud (monts Nouba) et le Nil Bleu. Mais la situation est également précaire dans toute la région du Darfour, à l’ouest. La guerre fait rage jusque dans les villes de Khartoum, Omdurman et Bahri, ainsi que dans des régions situées à l’est et au nord du pays, notamment les régions de Gadarif, Port Soudan, Kassala et Wad Madani.
Entre les deux parties, qui commet les crimes de guerre les plus sérieux ?
L’armée soudanaise et le groupe rebelle Forces de soutien rapide (FSR) se rendent tous les deux responsables de graves crimes de guerre. Ils bombardent sans discernement des zones civiles et tuent des personnes en raison de leur appartenance ethnique ou de leur couleur de peau. Les chrétiens sont aussi assassinés de manière ciblée en raison de leur foi. Les églises et les institutions chrétiennes sont délibérément détruites.
Existe-t-il des endroits de refuge pour ceux qui parviennent à fuir ?
Aucune partie du Soudan n’est vraiment sûre. L’armée et les FSR attaquent les civils en ayant recours aux forces aériennes et terrestres, y compris l’artillerie. L’expansion territoriale est plus importante pour eux que les vies humaines.
Vous avez visité plusieurs camps. Quels sont les besoins des déplacés ?
Les besoins les plus urgents sont la nourriture, les abris, les couvertures, les ustensiles de cuisine et les moustiquaires. Mais on ne doit pas oublier non plus les médicaments, l’eau potable, les services de santé pour les mères et les enfants ainsi que la formation scolaire.
Quelle est la situation des chrétiens dans ces camps ?
Les chrétiens sont aussi défavorisés dans les camps. Dans la région occidentale du Darfour, par exemple, les chrétiens sont constamment en danger au sein de la majorité musulmane. Dans les régions du nord et de l’est, les organisations humanitaires musulmanes refusent souvent d’aider les chrétiens. De nombreuses jeunes familles chrétiennes fuient donc vers les pays voisins.
Y a-t-il proportionnellement plus de victimes chrétiennes que musulmanes ?
On n’a pas de chiffres exacts, mais c’est très probable. Dans les nombreuses régions à majorité musulmane, le risque est grand que les chrétiens soient persécutés, convertis de force à l’islam, voire tués. C’est pourquoi les chrétiens essaient autant que possible d’éviter ces endroits. Par contre, dans les régions contrôlées par la milice Mouvement populaire de libération du Soudan-Nord (MPLS-N), c’est-à-dire principalement dans les monts Nouba et le Nil Bleu, la tolérance et la liberté religieuse règnent.
Quelle aide concrète apporte CSI ?
CSI fournit de la nourriture et des biens de première nécessité. Nous distribuons également des semences et des outils. Nous aidons à forer des puits pour fournir de l’eau potable et nous fournissons des kits d’accouchement aux sages-femmes. Nous ne négligeons pas les écoles et leur procurons du matériel. De plus, les pasteurs et les responsables de communautés ont reçu des vélos pour leur travail. CSI renforce également la capacité d’action de son organisation partenaire CSDA.
Qu’est-ce qui vous a le plus bouleversé lors de vos missions ?
Pendant les mouvements de fuite dans le Nil Bleu, j’ai rencontré des familles dispersées et des enfants seuls qui avaient échappé de justesse à la mort. Ils m’ont raconté l’attaque de l’armée soudanaise contre la localité de Deim-Mansour qui a été attaquée à l’aube, encerclée et bombardée sans discernement. Beaucoup de gens ont été tués en pleine rue. Il y avait des cadavres partout, des familles ont été déchirées, des enfants ont fui sans leurs parents et ne savent toujours pas si leurs proches sont en vie. Une femme a raconté qu’elle avait dû choisir entre son enfant et ses parents âgés.
Je me demande parfois : sommes-nous traités ainsi dans le sud du Soudan à cause de la couleur de notre peau ? La vie des groupes ethniques noirs ne compte-t-elle pas ? Mon seul espoir est que Dieu protège son peuple.
Quel appel lancez-vous à nos donateurs ?
Je remercie tous ceux qui prient et qui contribuent à l’aide. N’oubliez pas les personnes qui souffrent au Soudan ! Chaque âme sauvée compte et reste dans nos mémoires. Que Dieu vous bénisse pour votre soutien ! Vous êtes une lumière dans l’obscurité.
Interview : Reto Baliarda
10 millions de personnes déplacéesLa guerre fait rage au Soudan depuis avril 2023. Les Forces de soutien rapide (FSR), une milice paramilitaire, combattent les troupes gouvernementales. Les civils souffrent énormément. Le quotidien suisse Neue Zürcher Zeitung (NZZ) qualifie le conflit au Soudan de « guerre la plus violente au monde, responsable de la plus grande crise humanitaire ». On parle de 150 000 morts, mais Benjamin Barnaba estime que le nombre réel est bien plus élevé. En outre, « environ dix millions de personnes ont été déplacées. Deux millions d’entre elles ont fui vers les pays voisins pourtant économiquement fragiles, principalement vers le Tchad, l’un des pays les plus pauvres du monde ». |
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