Les enlèvements dissimulés des femmes alaouites
Les enlèvements dissimulés des femmes alaouites

Les enlèvements dissimulés des femmes alaouites

La minorité alaouite de Syrie est concentrée autour de Damas et dans la région côtière occidentale, notamment à Homs (photo). csi

 

Les enlèvements dissimulés des femmes alaouites doivent être dénoncés.

À la suite d’une vague de signalements d’enlèvements de femmes musulmanes alaouites au cours de l’année dernière, le ministère syrien de l’Intérieur a convoqué une commission officielle chargée d’examiner 42 cas d’enlèvements présumés. Le 2 novembre 2025, le porte-parole du gouvernement, Nour al-Din al-Baba, a annoncé que l’enquête n’avait révélé qu’un seul cas d’enlèvement avéré et a insisté sur le fait que les autres cas étaient des fugues, des absences volontaires, voire des inventions diffusées sur les réseaux sociaux. La déclaration officielle affirmait en outre que certaines femmes étaient parties avec leur partenaire amoureux et que d’autres s’étaient cachées chez des amis ou des proches.

Des enlèvements bien documentés

Ces conclusions contredisent fortement les conclusions de nombreuses enquêtes indépendantes. Après avoir mené des entretiens avec des familles et examiné des preuves provenant de Lattaquié, Tartous, Homs et Hama, Amnesty International a recensé au moins 36 enlèvements et séquestrations de femmes et de filles alaouites depuis février 2025 *. Bon nombre de ces victimes ont disparu en plein jour alors qu’elles se rendaient à l’école, au travail ou dans des lieux de culte.

Amnesty International a souligné que dans presque tous les cas, la police et les autorités de sécurité n’ont pas mené d’enquêtes efficaces, et que les nouvelles preuves apportées par les familles ont été rejetées ou ignorées. Les membres des familles ont déclaré avoir été blâmés, intimidés ou contraints au silence par les autorités.

L’agence de presse Reuters a également révélé au moins trente-trois cas depuis mars 2025, impliquant souvent des demandes de rançon et des messages indiquant que les femmes avaient été victimes de traite hors du pays.

Le 26 juin, Paulo Sérgio Pinheiro, président de la Commission internationale d’enquête sur la Syrie des Nations unies, a mentionné six cas documentés. Cependant, le 22 juillet, les experts de l’ONU ont explicitement exprimé leur inquiétude concernant l’enlèvement, depuis mars 2025, de 38 femmes et filles alaouites âgées de 3 à 40 ans dans différents gouvernorats, notamment Lattaquié, Tartous, Hama, Homs, Damas et Alep.

En décembre 2024, une coalition de groupes djihadistes sunnites a renversé la dictature de Bachar al-Assad en Syrie après cinquante ans au pouvoir. Le nouveau président syrien, que les puissances occidentales se sont empressées d’accueillir, est Ahmed al-Charaa (également connu sous le nom d’Abu Muhammad al-Jolani), l’ancien chef d’Al-Qaïda en Syrie.

« La réalité est bien pire »

Le Dr Mouna Ghanem, porte-parole du Supreme Alawite Council et fondatrice du Syrian Women’s Forum for Peace, a déclaré à CSI : « La réalité des enlèvements de femmes alaouites est bien pire que ce que Reuters, Amnesty ou l’ONU ont rapporté. »

Elle replace ces crimes dans un contexte historique plus large : « La pratique de l’enlèvement des femmes alaouites est une tradition ancienne, qui remonte aux Ottomans et se poursuit aujourd’hui avec les islamistes modernes, les groupes djihadistes et les milices gouvernementales. L’affirmation selon laquelle certaines femmes auraient simplement fui avec leurs amants est une invention. Les femmes alaouites ont toujours eu la liberté de se marier et d’aimer qui elles voulaient. Le chaos actuel, qui fait suite à la chute d’Assad, n’a fait que généraliser ces crimes et rendre leurs auteurs moins responsables, car des éléments djihadistes ont infiltré les rangs du gouvernement. »

Mme Ghanem a souligné que sous l’ancien régime, les enlèvements étaient examinés par les autorités de sécurité, alors qu’aujourd’hui, avec l’afflux de djihadistes en Syrie, les responsabilités sont beaucoup plus floues, ce qui aggrave les souffrances des familles.

Des obscurcissements délibérés

Le professeur Jens Kreinath, directeur de l’Institute for the Documentation of Human Rights Violations against Religious Minorities in the Levant (IDHRV-ARMIL), a mené à bien le travail de documentation le plus complet à ce jour sur les enlèvements de femmes alaouites. S’adressant à CSI, M. Kreinath a indiqué que depuis janvier 2025, l’institut a examiné 125 cas, dont 107 concernaient des femmes alaouites. Parmi ceux-ci, il a vérifié 49 enlèvements, dont 11 impliquent les services de sécurité généraux syriens. « Ces cas révèlent un schéma inquiétant de violence ciblée, de coercition et de défaillance institutionnelle », a déclaré M. Kreinath.

M. Kreinath dénonce le discours du gouvernement comme une campagne calculée visant à dissimuler une crise persistante et systémique : « Les statistiques officielles déforment grossièrement l’ampleur et la nature de la crise. Il ne s’agit pas de malentendus, mais d’une dissimulation délibérée visant à perpétuer les préjudices et à protéger les auteurs. L’écart flagrant entre les données vérifiées par l’IDHRV-ARMIL et les chiffres publiés par le ministère syrien de l’Intérieur révèle une stratégie délibérée : le gouvernement continue de cibler ces populations, de fausser les chiffres, d’interférer avec les témoignages des victimes et de fabriquer des contre-récits visant à discréditer les témoignages vérifiés.

Ces actes, en particulier lorsqu’ils sont perpétrés, facilités ou tolérés par des acteurs étatiques, justifient une enquête pénale indépendante sur les violences sexuelles commanditées par l’État et les systèmes qui les soutiennent, a fait valoir M. Kreinath.

Il a insisté sur le fait que « la responsabilité centrée sur les survivants doit être une priorité, notamment pour dénoncer ces abus et garantir que justice soit rendue aux personnes touchées ».

Un avenir précaire sous la nouvelle direction

La situation des communautés alaouites et chrétiennes ne montre aucun signe d’amélioration sous le nouveau gouvernement syrien. Le professeur Jens Kreinath avertit que la convergence de l’effondrement environnemental, du désespoir économique et de la répression systémique menace désormais de pousser les communautés alaouites et chrétiennes au-delà du point de rupture. Malgré les déclarations répétées du gouvernement en faveur de la protection et de l’unité, les conditions auxquelles sont confrontées ces minorités se sont fortement détériorées. La persistance de la « mentalité de l’État omeyyade », associée à une corruption profondément enracinée, ne fait qu’aggraver la crise.

« Les femmes alaouites disparues en Syrie font partie des nombreuses victimes gênantes de l’adhésion de l’Occident à la « nouvelle Syrie », a commenté Joel Veldkamp, responsable du plaidoyer politique de CSI. Les violences sexuelles contre les femmes non musulmanes sont une marque de fabrique des mouvements djihadistes au Moyen-Orient, et malheureusement, il devient clair que le nouveau gouvernement syrien ne fait pas exception. »

Faisant référence à l’accueil chaleureux réservé cette semaine par le président américain Donald Trump au président syrien Ahmed al-Charaa à la Maison Blanche, M. Veldkamp a déclaré : « Si le président Trump ne veut pas rester dans les mémoires comme le président qui a supervisé la fin du christianisme en Syrie, et peut-être même le génocide des alaouites, des druzes et des kurdes de Syrie, il doit agir dès maintenant pour demander des comptes à ses nouveaux partenaires à Damas pour ces crimes. Ces femmes doivent rentrer chez elles. »

* Amnesty International a directement documenté et enquêté sur 8 cas (5 femmes et 3 filles). Les 28 autres cas mentionnés par Amnesty ont été signalés par des militants, des journalistes et des organisations féministes syriennes.

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